La Covid a fait une entrée fracassante dans nos vies en 2020, semant l’épidémie sur son passage. Nous pensions vivre un épisode aigu plus ou moins important, nous étions loin de penser qu’elle deviendrait une maladie chronique invalidante pour bon nombre d’entre nous.
3 ans après, Le Covid est toujours là, non plus seulement comme une infection mais aussi avec des manifestations post infectieuses, regroupées sous le nom de Covid long et qui a bouleversé la vie des malades.
Toujours en proie avec cette affection mal reconnue sans traitement curatif, ils s’adaptent comme ils le peuvent à leur état et leur capacité du moment. Souvent à mille lieux de leur vie d’avant, celle où ils étaient actifs et en santé sans mesurer leur effort, certains d’entre eux, malgré tout, tentent de retrouver un nouveau sens à leur vie, de se recréer afin de ne pas laisser gagner ce sentiment d’inutilité, de gâchis ou de nostalgie douloureuse et dévastatrice.
Avec une maladie qui rythme et organise encore lourdement leur quotidien, concrétiser des projets ou de nouvelles activités leur demande beaucoup de résilience et de force mentale. Je tenais à donner la parole à quelques-uns d’entre eux pour leur rendre hommage mais aussi pour comprendre ce que de tels bouleversements ont pu déclencher chez eux : rechercher un autre sens à leur vie, se faire plaisir avec des choses simples, se découvrir de nouvelles passions... En effet, cette maladie a beaucoup pris mais a laissé des « recoins » de nos organismes moins atteints qu’il nous appartient de découvrir et développer, cela nécessite du temps.
Antony, en invalidité depuis peu, nous raconte.
« J’étais cuisinier un métier qui me passionnait. Malheureusement, depuis ma contamination en mars 2020 au covid tout a été chamboulé par une multitude de symptômes handicapant que les covid long connaissent si bien.
Du coup pour garder la motivation de me battre et de me lever de mon lit, j’ai décidé de me prendre des animaux de compagnie, j’ai commencé par des poissons, assez simple, vous allez me dire, mais c’était déjà beaucoup pour moi au tout début de la maladie ; puis un chat, car comme peu s’en doute, la maladie fait perdre beaucoup de lien social, c’est une très bonne compagnie.
Puis j’ai créé ma petite micro ferme basse-cour avec des poules cailles, oies, faisans, pigeons et canards ainsi qu’un petit rucher d’abeilles que j’ai placé à plusieurs centaines de mètres de chez moi pour faire mes sessions de marche tous les jours et réapprendre à marcher car, bien évidemment, elle m’a eu sur tout mon système neurologique et locomoteur.
Après, une seconde passion est apparue, c’est la pyrogravure, qui est devenue de la gravure laser avec le temps ; rien de tel pour faire travailler le cerveau avec notre brouillard cérébral qui est un enfer quotidien. Je suis passionné par le dessin et l’art ce qui rejoins mon précédent métier, d’une certaine manière, l’art de la table, la gravure laser m’a permis de rester un peu dans le domaine qui me plait, et de faire plaisir à des personnes en leurs créant quelques choses de mes propres mains, de la découpe pour faire de la création de bijoux telles que des boucles d’oreilles, des gravures sur tout support bois métal verre pour réaliser des portraits à une simple écriture, selon le choix des personnes, pour un cadeau souvenir qui sera présent plusieurs années. Voilà mon quotidien en espérant toujours avoir une nouvelle santé prochainement afin d’avancer d’autres projets... ».
Atoka (prénom modifié), informaticienne, témoigne de ce douloureux besoin de retrouver la vie d’avant, puis la déculpabilisation et la reconstruction avec l’invalidité :
« Le covid, je l’ai attrapé en mars 2020 avant le 1er confinement… Ce n’est qu’une « grippette » parait-il malgré les nouvelles alarmantes venant de Chine (c’est si loin !) puis d’Italie (c’est si proche mais nous avons le meilleur système de santé, n’est-ce pas ?) …
Asthénie, dyspnée, céphalées, douleurs musculaires, douleurs thoraciques, insomnies, brouillard cérébral, dysautonomie pour les maux les plus gênants et persistants… assez classiques comme symptômes covid long…
J’ai consulté quasiment tous les spécialistes terminant par « logue » pour n’obtenir que des « ok pour vos symptômes, pas de lésion organique, tout reviendra dans l’ordre alors… patientez… combien de temps ? c’est vous qui nous le direz »… alors j’ai patienté 3 mois, 6 mois, 12 mois, 18 mois, 24 mois avec des arrêts médicaux reconduits… 2 années de vie entre parenthèses ponctuées par des RDV médicaux et des soins paramédicaux avec quelques améliorations notoires et des rechutes brutales…
J’ai écouté malheureusement les gens bien-pensants
- « bouge-toi maintenant; tu entretiens ton état; moi, c’est passé en quelques jours;
- on a plein de boulot ! tu nous abandonnes; tu as de la chance d’être toujours en vacances, … »
et j’en passe… Ils m’ont bien culpabilisée, provoquée quelques gros coups de blues et de beaux malaises post effort en utilisant plus d’énergie que je n’en avais… Je rêvais de retrouver ma vie d’avant…
Un déclic s’est produit lors de ma mise en invalidité catégorie 2 décidée par le médecin conseil de la CPAM. Passé le choc de cette décision unilatérale (plusieurs jours totalement épuisée, en pleurs, une vraie larve…), j’ai fini par la prendre comme une « forme de reconnaissance » par la société de mon état de santé de covid long, ça m’a libéré l’esprit de toute culpabilité envers mon employeur, envers ceux qui ne voulaient pas voir ou comprendre, …
Et puis… un instinct de survie probablement ?
J’ai décidé de quitter ma « vie d’avant » parce le covid long m’a changée, parce que j’aspire à une vie plus sereine, plus saine, plus vraie avec de vraies valeurs, … parce que tout simplement, cette « Vie d’avant » ne me correspondait plus.
Un besoin de me reconstruire après 2 années, une envie de reconstruire une vie où mon squatteur de virus ne dirige plus ma vie, où de squatteur, il devient qu’un simple «colocataire» !
Bref, une vie où j’existe, où j’avance, où je peux encore avoir du plaisir… une « vraie » vie !
J’ai déménagé à la campagne, là où le rythme de vie me correspond le mieux et apaise mes maux (plus de stress de la ville, plus de bruit, plus des « tu devrais… »
J’y poursuis mes soins hebdos avec des kinés, non spécialisés covid long, mais très à l’écoute avec des séances adaptées à mes capacités du jour… et je progresse ! :) J’ai intégré un groupe de réhabilitation à l’effort (tout en douceur) comme patient et depuis peu, comme « patient expert ». Ravie de pouvoir ENFIN aider les autres !
J’ai fait le vide dans les “relations d’avant” qui m’étaient toxiques pour m’ouvrir aux gens que je rencontre ici : je redécouvre le plaisir de marcher (lentement) seule ou en petit groupe (mes difficultés fluctuantes ne leur posent aucun problème). On prend tellement du bon temps que l’on sort par tous les temps !
Ma « lenteur » me permet d’observer tout ce qui nous entoure : fleurs, papillons, animaux sauvages… et ça m’a redonné l’envie de me remettre à la photo, je commence d’ailleurs à faire un recueil de la flore et de la faune locale au fur et à mesure de mes découvertes.
Non seulement c’est une activité qui convient à mon colocataire de virus mais, en plus, c’est une activité artistique qui me plait et une activité intellectuelle qui sollicite mes neurones en faisant des recherches sur le net pour les commentaires …
Je participe également à un jardin communautaire, encore une activité que mon colocataire apprécie, ça me permet de rencontrer de nouvelles personnes, d’échanger des graines, des astuces de jardinier, des recettes, … »
Bref, je bâtis peu à peu ma nouvelle vie et au fil des saisons, je suis sûre de découvrir plein de nouvelles choses, activités, personnes. JE RE-VIS !
Avec un peu de recul à présent de cette vie en construction, je me rends compte que regretter « ma vie d’avant » ne faisait que rajouter de la souffrance morale à la souffrance physique et intellectuelle de mes maux. Essayer de faire « comme avant » aggravait mes symptômes parce que je n’en étais pas capable, générer tant d’épuisement et me réduisaient à n’être « qu’une malade », à ne pas avoir de vie. En fait, je ne m’autorisais aucun plaisir.
Aujourd’hui, mes maux sont toujours présents mais vraiment moins « pesants » dans ce cadre de vie et avec des activités qui les apaisent ou qui ne lui sont pas un obstacle. Je tiens bien évidemment compte de mon colocataire pour éviter les malaises post effort mais ceux-ci sont devenus rares ».
Sandrine, initialement gestionnaire de clientèle en banque privé, est parvenue à créer sa boutique après que sa vie ait été bouleversée par la maladie :
"Le sentiment de Renaître après une mort sociale !"
Je commence par la fin mais c’est le constat que je tire aujourd’hui de cette expérience qui dure depuis octobre 2020.
3 ans en 3 phases
- N1 Le Choc : incompréhension de mes maux, mes douleurs et symptômes…une descente aux enfers soudaine et sans préavis, sans alerte…je ne savais pas ce qu’était la maladie avant…rien, aucun antécédent.
- N2 L’acceptation : accepter que le covid n’est pas binaire : on ne meurt pas forcément mais on n’en guérit pas forcément non plus. Accepter l’incrédulité des médecins, accepter qu’il n’existe pas de réponse médicale, accepter d’être ce que je suis devenue et faire avec…accepter d’être une « bizarrerie » dans le système qui n’a plus sa place ni dans les services de soins, ni au travail, ni en société car incapable du moindre effort ni même de suivre une conversation parfois…
- N3 La reconstruction : se réorganiser dans cette désorganisation, apprendre un nouveau moi, un nouveau métier, une nouvelle vie. Prendre des risques pour adapter ce que je suis à ce que peux (ou pense) pouvoir faire. Oser malgré les difficultés avec moins de moyens physiques et cognitifs…moins d’énergie, moins d’exigences…
À l’aube de démarrer N4, j’en suis là : Trouver des solutions dans une situation inédite. Construire un projet pro à partir de mes nouvelles capacités que je ne connais même pas…
C’est parfois comme s’enfoncer dans la nuit sur une mer déchaînée sans boussole ni visibilité. Seul au monde face à des vagues scélérates. Mais…la résilience est un phénomène fabuleux : au milieu de la tempête j’ai vu un scintillement, la faible lumière d’espoir d’un phare qui m’a emmenée vers un but et une trajectoire inconnue mais réellement salvatrice pour ma santé et mon moral.
Il était temps de se réinventer peut-être ? C’est le message que je retiens de la maladie : ose et change le cap… Par la force des choses certes, mais n’ayant pas de plan B ni C, je n’avais d’autres choix que de « créer mon job » et d’être seule aux commandes ne pouvant plus rien promettre à un employeur.
J’ai donc lancé mon activité de commerce en un an. C’est difficile, je suis parfois exténuée et peu efficace mais j’avance et j’ai enfin le sentiment de renaître, de retrouver une place et une fonction dans la société mais surtout d’avoir un but chaque jour qui me donne de l’énergie malgré ce qu’il m’en coûte. Cette énergie que je partage avec mes clientes et qui m’en donnent tellement en retour. Je ne pense plus à demain…je pense au présent. Quand une journée s’est bien passée alors c’est une victoire…demain sera un autre jour…Carpe Diem
Accepter d’être ce que l’on est et lâcher ce qui n’est plus…la vie ce n’est pas qu’une ascension, il faut savoir accepter de rester sur un palier parfois car on ne peut pas seulement « grimper » …il arrive un moment où le maximum est atteint. Pour nous c’est le covid…Il m’aura appris que l’on peut être heureux même sans être capable de continuer cette ascension…juste en appréciant ce qui nous entoure sur ce palier dans lequel la maladie nous a figé.
J’en conclus que l’on peut avancer même sans grimper, juste en prenant le temps de découvrir les opportunités qui nous entourent, celles juste à notre portée sans avoir à viser plus, toujours plus haut…Même bien portant, nul ne pourra jamais décrocher la lune…en revanche, nous pouvons tous saisir les fleurs juste à nos pieds…c’est magique : même cassé, même abîmé et diminué : le bonheur reste toujours à nos pieds. »
L’invalidité n’est pas une fin en soit, cela peut devenir une forme de reconnaissance, un soutien pour aborder la vie différemment avec ces handicaps et ces douleurs. Certains arriveront à développer une activité professionnelle différente, plus adaptée. D'autres parviendront à se renouveler, non pas dans le cadre professionnel mais dans des activités de loisirs. Celles-ci peuvent être simples ou plus complexes, peu importe : le principal est de se (re)trouver d'être connectés à leurs goûts, leurs valeurs, leurs priorités afin de pouvoir non pas seulement exister mais se sentir vivant.
Infirmière cohabitante avec le covid Long, je partage ces moments de galère et de remise en question depuis 3 ans. Je ne me vois pas parvenir à assurer la sécurité de mes patients et à assumer l’endurance de ce métier désormais ; Moi aussi, tout comme Antony, Atoka et Sandrine, j’aspire à me réinventer, non sans un passage de questionnements, d'interrogations et de remise en question : travailler dans le domaine de la prévention qui concilie mes connaissances déjà acquises et mes capacités actuelles tout en suivant mon rythme me parait une option envisageable, le chemin sera semé d’embuches mais l’objectif serait salutaire.
Ces trois témoignages donnent de l’espoir. Ils sont sincères, touchants et plein de détermination malgré les obstacles.
Sans imaginer pour autant faire des activités intenses, je vous souhaite de trouver votre « recoin » qui vous permette de trouver ce petit plaisir nécessaire et je félicite ceux qui le réalisent déjà !
Solidairement votre !
Nelly, Antenne Auvergne-Rhône-Alpes UPGCS
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