Si ses représentations diffèrent, la mort suscite toujours un questionnement sur le sens de l’existence.
Ainsi, depuis des millénaires, inlassablement, l’humanité porte ces mêmes questions :
- d’où venons-nous ?
- Qui sommes-nous ?
- Vers quoi allons-nous ?
Ces questions sont actuellement toujours aussi prégnantes et la réponse que nous y donnons dépend de notre vision de l’humain. Aujourd’hui, nous assistons dans notre société à un foisonnement de conceptions anthropologiques qui présentent des points de vue très différents, voire contradictoires, à propos de ce que pourrait être « la bonne mort ». Ces visions si différentes de l’être humain prennent appui sur des traditions culturelles souvent très anciennes dont il est difficile d’essayer de rendre compte ici sans risque de réductionnisme.
« Il n’y a qu’un seul problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie », affirmait Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe.
Pour la grande majorité des religions du monde, la réponse est sans ambages : oui, la vie mérite d’être vécue, quoi qu’il advienne. Dieu nous l’a donnée (ou les dieux, ou la Nature…) et il ne nous appartient pas de la rendre.
Une telle vision permet, en partie, de comprendre l’opposition des représentants des principales religions à toute évolution de la loi sur la fin de vie en France.
Ni euthanasie active, ni suicide assisté ne sauraient être tolérés, la vie étant sacrée.
Dans la religion bouddhiste, le premier précepte est d'empêcher la destruction de la vie, y compris la sienne, le suicide est clairement considéré comme une forme d'action négative entraînant un karma négatif.
D’un autre côté, le stoïcien accepte la mort volontaire rationnellement et la trouve conforme à la nature dans des situations insupportables de souffrance, de maladie, de vieillesse ou d’asservissement, lorsque la vie a perdu son sens ou lorsqu’on n’est plus en mesure d’accomplir ses devoirs sociaux. C'est la notion de conservation de la dignité qui se trouve prioritaire. C’est le droit humain de tout adulte rationnel et lucide, quel que soit son état de santé, de choisir la manière et le moment de sa mort.
Le refus de ce droit, c’est imposer à l’Homme de vivre dans la souffrance physique et mentale, parfois subir une dégénérescence dans l’attente d’une mort pénible, et c’est à l’opposé de la compassion et de l’humanisme.
Ce refus de reconnaissance de cette liberté est obsolète, cruelle et injustifiée, encore plus que le fut le refus du droit à l’avortement.
En France, la loi dite « Léonetti » (votée à l’unanimité en avril 2005) relative aux droits des patients et à la fin de vie modifie la loi datant de mars 2002. En février 2006, un décret du Conseil d’État définit les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées, prévues par la loi du 22 avril 2005.
Ce texte de loi a été rédigé et voté pour éviter deux pratiques : d'une part, empêcher l’euthanasie et le suicide assisté et, d'autre part, pour empêcher l'acharnement thérapeutique dans le traitement des malades en fin de vie.
Il permet ainsi au patient de demander, par des directives anticipées rédigées à l’avance ou exprimées par le malade devant un personnel assermenté ou par le biais de la « personne de confiance », de la famille, ou à défaut d’un de ses proches, d’arrêter un traitement et/ou tout acharnement thérapeutique.
Cependant, ces directives anticipées sont très mal connues du grand public puisque moins de 2% des malades pour lesquels une décision de fin de vie a été prise connaissaient cette possibilité, et moins de 10 % dans les services de Cancérologie. Pourtant, chaque malade hospitalisé (chirurgie ambulatoire ou non, examen sous anesthésie générale...) doit choisir sa « personne de confiance » et indiquer si des directives anticipées ont été prises.
Cette loi de 2005 s’est efforcée de développer les soins palliatifs en faisant tout ce qui est possible pour atténuer les souffrances des patients en fin de vie, tant sur le plan physique que psychique. Cependant les médecins français « restent peu formés » et l'accès des patients à ce type de prise en charge reste très inégal. Il est urgent de rendre les soins palliatifs accessibles à tous. L’euthanasie dite passive, associant le renoncement aux traitements médicamenteux, interruption de l'alimentation ou de l'hydratation artificielle ou l’administration d'opiacées ou de sédatifs à hautes doses est plus répandue dans tous les services de soins.
« Si les soins palliatifs s’imposent, il serait toutefois illusoire de penser qu’ils peuvent répondre à toutes les situations de souffrance et qu’ils feront disparaître toute demande de mort volontaire. Les soins palliatifs ne dispensent donc pas du débat : conçus pour soulager les difficultés et les inconforts de la fin de vie » comme le rappelle les recommandations de la Commission Consultative Nationale d’Ethique.
Elle permet la sédation profonde, par administration de morphine ou un sédatif à très forte dose, quitte à ce que cette intervention aboutisse à une mort plus rapide. Cependant, ce procédé reste flou pour la majorité des soignants, le patient pouvant rester longtemps dans le coma.
Elle ne peut pas remplacer l’euthanasie active (c’est un personnel de santé qui injecte le produit létal) ou le suicide assisté (c’est le malade qui s’injecte le produit létal) qui permet de donner la mort rapidement. Plusieurs pays occidentaux, dont certains voisins, ont déjà légiféré sur la question de la fin de vie (Belgique, Espagne, Autriche, Suisse, Pays-Bas, Luxembourg, Canada, certains États américains...). Ils autorisent l'euthanasie et/ou le suicide assisté. Ces procédés sont déjà réglementés aux Pays-Bas en 2001 et en Belgique depuis 2002. Des conditions précises sont exigées : être majeur, être conscient ou avoir rédigé une « déclaration anticipée de volonté », posséder la réflexion sans pressions extérieures, se trouver dans une situation médicale sans issue, ou bien à l’occasion d’une affection accidentelle grave et incurable. C’est au patient qu’il revient de trouver un médecin qui accède à sa demande après avoir vérifié la régularité de la situation. La responsabilité du médecin est engagée dans un acte d'euthanasie. En Suisse, le code pénal autorise l'assistance au suicide ou suicide assisté en permettant au malade de se donner la mort.
Le mot euthanasie reste tabou En Espagne, l'euthanasie passive et l'assistance au suicide ont été dépénalisées en 1995. En Allemagne, à cause des atrocités commises pendant la période nationale-socialiste, l’euthanasie reste taboue. On emploie donc l'expression « Sterbehilfe » (aide à la mort). Seule l’euthanasie passive est autorisée. Tous les sondages montrent qu’une très large majorité de la population européenne (environ 80%) est en faveur du suicide assisté.
Dans une certaine mesure, l'opinion de toutes ces personnes correspond à celle de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg. Le 20 janvier 2011, cette dernière a en effet jugé le droit de décider soi-même du moment et de la façon dont on souhaite mourir comme principe du droit à l'autodétermination, protégeant ainsi les droits de l'homme. Les lois doivent donc évoluer rapidement pour se mettre, d’une part, en conformité avec la cour européenne des droits de l’homme et, d’autre part, en accord avec les opinions publiques.
L’étude « Mort à l’hôpital », réalisée dans 200 hôpitaux français et publiée en 2008, indique que plus des deux tiers des infirmières et infirmiers déclaraient qu’ils considéraient les conditions de fin de vie des personnes qu’ils soignaient comme inacceptables pour eux-mêmes lorsqu’ils seraient en fin de vie.
Le nouveau projet de loi en France
Le nouveau projet de loi, annoncé par le chef de l’État, Emmanuel Macron, répond à une demande sociétale. Il a été précédé d'un avis du Comité consultatif national d’éthique qui s'est dit favorable en 2022 à une "aide active à mourir" strictement encadrée, à condition que soient parallèlement renforcés les soins palliatifs.
Cet avis a ouvert les débats de la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui s'est prononcée en avril 2023 pour une ouverture conditionnée d'une aide active à mourir, et plus précisément à la fois du suicide assisté et de l’euthanasie. Les 184 citoyens de cette Convention ont considéré que le cadre législatif actuel était insuffisant. Ils ont également souhaité que soient proposés des soins palliatifs "pour toutes et tous et partout".
Soins d'accompagnement et directives anticipées
Le projet de loi rénove l’approche de la prise en charge de la douleur et de la fin de vie, en intégrant la notion de soins palliatifs définie par le code de la santé publique, dans celle plus englobante de "soins d’accompagnement". Ces soins couvrent d’autres soins que les soins palliatifs (prise en charge nutritionnelle, accompagnement psychologique, musicothérapie, massage...) et plus globalement toutes les mesures mis en œuvre pour répondre aux besoins des malades et de leurs proches aidants.
Une nouvelle catégorie d'établissement médico-social, dénommée "maison d'accompagnement", est créée. Il s'agira de structures intermédiaires entre le domicile et l'hôpital qui accueilleront et accompagneront les personnes en fin de vie et leur entourage. Celles-ci pourront y être admises lorsque le retour à domicile, à la suite d’une hospitalisation, n'est pas possible, ou encore lorsque la prise en charge à domicile ou en établissement médico-social ne s’avère pas adaptée, afin d'éviter une hospitalisation. Ces maisons seront financées par l'Assurance maladie et par un forfait journalier à la charge des personnes accueillies.
Les patients, dans le cadre de l'annonce d'une maladie grave, pourront systématiquement bénéficier d'un temps d'échange sur l’anticipation, la coordination et le suivi de leur prise en charge globale et d’un plan personnalisé d’accompagnement.
Les conditions dans lesquelles les directives anticipées peuvent être formulées sont améliorées. Les bénéficiaires d’un plan personnalisé d’accompagnement pourront l’annexer à leurs directives anticipées. Toute personne pourra, en outre, enregistrer ses directives anticipées dans l’espace numérique de santé et accorder un accès à un proche aidant.
L'aide à mourir
Le second volet du projet de loi concerne l'aide à mourir. Elle consistera à autoriser et à accompagner la mise à disposition à une personne qui le demande d’une substance létale, pour qu’elle se l’administre elle-même ou, si elle n'en est pas capable, se la fasse administrer par un professionnel de Santé (médecin ou infirmier).
Les personnes qui pourront demander cette aide devront être :
- majeures ;
- françaises ou résidents étrangers réguliers et stables en France ;
- aptes à manifester leur volonté de façon libre et éclairée ;
- atteintes d’une maladie grave et incurable avec un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme ;
- victimes de souffrances réfractaires (qu'on ne peut pas soulager) ou insupportables.
Les personnes devront être capables de prendre leur décision en ayant conscience de la portée et des conséquences de leur choix, ce qui exclut les personnes souffrant d'une maladie psychiatrique qui altère leur discernement au moment de la démarche.
Le pronostic vital engagé à court terme lorsque le décès du patient est attendu dans quelques heures à quelques jours". Le moyen terme se compte, quant à lui, en semaine ou mois.
Le projet de loi définit ensuite l'ensemble de la procédure de l'aide à mourir (demande, examen, décisions du médecin, délais, renoncement) et les droits de la personne (date de la mort, droit de mourir accompagné et hors de son domicile). L'aide à mourir sera prise en charge par l'Assurance maladie.
Une clause de conscience est instituée pour les professionnels de santé qui refuseraient de participer à la procédure d’aide à mourir. Ils devront renvoyer la personne vers un confrère.
Les professionnels qui seraient volontaires pour participer à l'aide à mourir pourront se déclarer auprès d'une nouvelle commission, qui centralisera leurs coordonnées. Cette commission, placée auprès du ministre chargé de la santé, devra contrôler et évaluer le dispositif d’accompagnement à l’aide à mourir.
La Haute autorité de santé (HAS) et l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) seront chargées d’évaluer les substances létales qui seront utilisées pour l’aide à mourir.
Enfin, le texte obligera les contrats d’assurance décès, y compris en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi, à couvrir le risque de décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir. Il s'agit de prévenir toute exclusion de couverture de l’aide à mourir, notamment liée à une éventuelle assimilation au suicide.
Or, du fait de la dissolution de l'Assemblée nationale, le projet de loi est devenu caduc. Pour que sa discussion reprenne, il faudra que le nouveau gouvernement s'il le souhaite le redépose sur le bureau de l'Assemblée, après les résultat des élections législatives.
Guy BELLAÏCHE
Août 2024
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